Les femmes dans la Résistance en FranceMechtild GILZMER , Christine LEVISSE-TOUZE et Stefan MARTENS [dir.], Paris, Edition Tallandier, 2003 Avertissement : le texte présenté ci-dessous est le compte rendu du colloque, non celui de l'ouvrage. Il est rare qu'on ressente un colloque scientifique comme un moment historique. Dans le cas de la rencontre organisée à Berlin du 8 au 10 octobre dernier par le Mémorial de la Résistance allemande de Berlin (Gedenkstätte Deutscher Widerstand) et le Mémorial Leclerc-Musée Jean Moulin de Paris, dirigés par Johannes Tuchel et Christine Levisse-Touzé, c'est à coup sûr le sentiment qu'ont pu éprouver les participants. Certes, ce n'est certes pas la première fois que des spécialistes français et allemands de la seconde guerre mondiale se retrouvaient autour d'une table, ni que les historiens étaient amenés à entendre la parole de grands témoins. Mais venir à Berlin traiter de la Résistance en France était une " première " dont la portée symbolique fut saluée par les représentants des deux villes organisatrices, Mme Goethler, sénatrice de Berlin aux Sciences, à la Recherche et à la Culture, et Mme Christienne, adjointe au Maire de Paris chargée de la Mémoire et du Monde combattant. Pour les témoins surtout, l'émotion de participer à une telle rencontre dans la capitale de l'Allemagne réunifiée était visible. Elle venait aussi de la rencontre de trois femmes témoignant d'expériences singulières et complémentaires : une résistante, Lucie Aubrac ; une résistante déportée, Marie-José Chombart de Lauwe, une " résistante de l'extérieur ", Rosette Peschaud, ancienne mbulancière de la 2e DB. Enfin, comme le rappela une intervenante, ce colloque auquel assistaient des résistants et résistantes allemandes manifestait les possibilités nouvelles de construction d'une mémoire commune de la Guerre en Allemagne : il y a quelques années, il n'aurait pas été possible à des historiens de RFA de rencontrer des résistants communistes ayant vécu en RDA. Sur un sujet neuf, les organisateurs du colloque avaient voulu diversifier les approches. Sont donc intervenus des Français et des Allemands, historiens confirmés de la Résistance dans leur pays (Laurent Douzou, Dominique Veillon, Jean-Marie Guillon, Christine Levisse-Touzé, Peter Steinbach), des chercheuses allemandes spécialistes des camps d'internement français (Barbara Vormeier, pionnière des études sur les exilés allemands en France, et Mechtild Gilzmer), de jeunes doctorantes (Julia Ebbinghaus, Corinne Jaladieu et Sandra Fayolle), et des participantes proposant des regards originaux (Paula Schwarz du point de vue des " gender studies ", Florence Hervé à travers une comparaison France/Allemagne). Plutôt que de prétendre résumer le déroulement chronologique de ce qui s'est dit lors de trois journées de communications et de débats très riches - et qui donneront lieu à publication - on essaiera de dégager: • un bilan des sources, de l'historiographie et de quelques problèmes méthodologiques posées par la résistance des femmes, • des études de cas faisant un premier point sur certaines pistes de recherches. Qu'elles aient porté sur les groupes et actions collectives des femmes, sur les formes et motivations de l'engagement individuel, sur la mémoire des femmes, le fil directeur commun consistait à tenter de distinguer ce qui pouvait relever d'une spécificité féminine de tout autre déterminisme à l'œuvre (nationalité, engagement politique, appartenance confessionnelle, etc). Sources et historiographie Stefen Martens et Corinna von List présentèrent le résultat d'un travail considérable de recension des archives allemandes sur la Résistance française, conservées en Allemagne et en France. Il donnera lieu prochainement à l'édition d'un ouvrage destiné à être le complément naturel du Guide des sources de l'histoire de la Seconde Guerre Mondiale conservées en France publié par les Archives de France et l'Institut d'Histoire du Temps Présent (pour plus de renseignement, contacter M. Martens, Institut Historique Allemand, 8 rue du Parc Royal, 75003 Paris). Sur l'historiographie du sujet, le colloque a reformulé utilement la question de " l'oubli " dont aurait été victime la Résistance des femmes. Laurent Douzou le rappela dans sa communication: derrière l'absence criante de reconnaissance officielle (6 femmes sur plus de mille compagnons de la Libération, 10% de femmes parmi les médaillés de la Résistance), l'examen des témoignages ou études publiés, qui n'ont pas manqué, montre que la ligne de partage s'est très longtemps située entre quelques héroïnes (Berthie Albrecht, Danielle Casanova...) et la masse des anonymes. Or, ce clivage concerne tout autant l'historiographie des résistants. Dans les deux cas, comme Jean-Pierre Azéma et Jean-Marie Guillon le firent également remarquer, c'est le tournant historiographique général des années 70 qui a permis d'enrichir des études, centrées jusqu'alors sur la Résistance organisée, unitaire et combattante, pour s'interroger sur le processus complexe des relations de cette Résistance avec la société française et redéfinir la notion même de Résistance. La sortie de " l'oubli " a concerné progressivement toutes sortes de catégories : les étrangers, les juifs, les femmes…dont l'action ne pouvait être pleinement appréhendée dans le cadre antérieur. Cette évolution historiographique est évidemment inséparable d'un bouleversement plus général des mentalités durant la même période (cf. la montée du féminisme), auquel les nouvelles générations d'historiens ont pris part. Questions de méthode : le rôle des femmes dans la Résistance Plusieurs communications, dont celles de Laurent Douzou et Dominique Veillon s'attachèrent à cerner les critères d'une juste appréciation du rôle des femmes. Toute évaluation quantitative et qualitative ne peut se faire qu'à l'aune du contexte social et culturel de l'époque, et notamment de leur statut de mineure civile. Le choix de l'engagement en était évidemment rendu plus difficile. Par ailleurs, ce statut a constitué, dès l'après-guerre, un handicap sérieux pour évaluer la présence des femmes dans la Résistance : au sein des couples résistants ce sont les hommes, chefs de famille, qui assumèrent les demandes de reconnaissance officielle, mais aussi, le plus souvent, la volonté de témoigner publiquement. L'abandon du nom de jeune fille par les résistantes mariées après-guerre ne facilite pas la recherche. Enfin - comme on l'a dit à propos du tournant historiographique des années 70 - il a fallu que l'on s'intéresse à la résistance " civile " et aux activités de sauvetage pour commencer à prendre la mesure de ce qui fut, le plus souvent, un prolongement des activités habituelles dévolues aux femmes dans la sphère du privé : loger, nourrir, vêtir, soigner. Bien sûr, cette division sexuelle traditionnelle des tâches, que l'on retrouve dans la micro-société résistante, était un puissant obstacle à l'exercice d'une responsabilité de type " masculin " : une seule femme est recensée comme responsable de maquis, deux comme chefs de réseau. Mais, plus pernicieusement, l'assignation des femmes à leurs tâches traditionnelles a pu occulter, pour certaines d'entre elles, les responsabilités exactes qu'elles exercèrent dans cette expérience radicalement nouvelle que constituait la Résistance : si, au sein du Comité directeur du groupe du Musée de l'Homme, c'est une femme, Agnès Humbert, qui tapait les articles des " hommes ", elle n'en était pas moins leur égale dans le processus de prise de décision au sein de l'organe dirigeant. Si, dans l'historiographie du mouvement Combat, Berthie Albrecht apparaît souvent comme la collaboratrice du " patron ", Henri Frenay, on comprend à lire un témoin de premier plan comme Claude Bourdet qu'elle fut aussi et surtout son mentor politique. Lors des débats fut abordée l'incidence de la maternité sur l'engagement résistant des femmes. Le rôle maternel traditionnel est évidemment fondamental pour expliquer l'orientation de la Résistance de nombreuses femmes vers une " résistance au foyer ". Mais, pour les autres, quelles stratégies ont-elles développé afin de concilier les deux ? Pour celles qui ont assumé une séparation d'avec leurs enfants (envoyés chez des grands-parents, ou dans des foyers), y a-t-il eu des séquelles ? Sur ce dernier point, on ne peut s'empêcher de relever qu'à l'initiative des intervenants féminins, la discussion porta davantage sur les enfants que sur les femmes elles-mêmes… Groupes et actions collectives des femmes Toute une série d'études de cas présentés au colloque ont pris pour objet des actions collectives de femmes ou des lieux regroupant les femmes : les marchés, lieux des manifestations de ménagères (J.-M. Guillon) ; les unités féminines de la France Libre (C. Levisse-Touzé) ; les lieux de la répression où étaient regroupés les femmes : prisons (C. Jaladieu), camps d'internement (M. Gilzmer) et de déportation (S. Jacobeit, M.-J. Chombart de Lauwe). Jean-Marie Guilllon a montré toute la richesse que pouvait apporter l'étude des manifestations de ménagères contre les pénuries entre 1940 et 1944 en les resituant dans le temps long. Elles combinent en effet un versant " moderne " (pour l'époque) et des traits " archaïques ". Du côté de la modernité, on peut noter qu'il s'agit de la mobilisation de femmes seules, qui sont souvent des femmes au foyer, sur une manifestation à portée politique, puisqu'elle va généralement du marché à la mairie, et qui est souvent organisée ou revendiquée par une force politique : le PCF. Mais d'autres traits rappellent les troubles de subsistance d'ancien régime, et sont comme des symptômes de la régression que les pénuries imposent à la société française sous l'occupation: certaines sont totalement spontanées, les revendications sont toujours immédiates (il faut manger), locales (on s'indigne que des localités voisines aient reçu plus), accompagnées souvent de violences verbales ou physiques, portées d'une ville à l'autre par la rumeur (la radio étant parfois le vecteur). Les clés de ce phénomène ambivalent sont à chercher du côté de l'histoire des femmes, dans la naissance au XIXe siècle de la figure de la " ménagère ", gardienne des faubourgs, repérée par Michelle Perrot. L'autre intérêt qu'il présente est son décalage par rapport à la notion de " résistance ", qu'il déborde chronologiquement (les manifestations ont continué après-guerre) et conceptuellement. Les femmes qui y sont impliquées ne se perçoivent pas forcément ni ne sont forcément perçues comme des " résistantes ". Mais leurs actes de transgression collectifs sont un des indices du bouleversement profond qui affecte la population entre 1940 et 1944, et qui seul peut expliquer le basculement de l'opinion de Vichy vers la Résistance. Traitant d'un sujet connexe, la presse clandestine féminine (essentiellement communiste), Julia Ebbinghaus rappela qu'y dominaient des mots d'ordre assignant aux femmes des rôles bien spécifiques : les manifestations contre les pénuries ou pour la libération des prisonniers de guerre. Mais le rôle des femmes dans la contre-propagande clandestine n'est pas limité à cette presse qui leur est destinée : on les retrouve constamment, indispensables à la fabrication ou à la distribution, dans l'ensemble de la presse clandestine, communiste ou non-communiste. Du côté de la Résistance extérieure, Christine Levisse-Touzé montra la portée de la création des volontaires féminines de la France Libre, phénomène limité en nombre (430 femmes en 1943, soit moins de 1% des FFL) mais décisif par sa nouveauté : il donnait un statut à la femme combattante et allait conduire à la création des Auxiliaires Féminines de l'Armée de Terre en 1944. Cette initiative précoce de De Gaulle s'explique par la pénurie de volontaires en 1940, mais aussi par l'exemple des Britanniques, dont le Corps Expéditionnaire en France comportait 17000 femmes. Symbole de cet acquis des femmes dans la période 1940-45, lors du défilé du 18 juin 1945 à Paris, des femmes combattantes françaises et des pays alliés défilèrent à Paris. Comment s'étonner que ces femmes aient eu le plus souvent à assumer des tâches " féminines " dans une institution comme l'Armée, et que le grade le plus élevé créé pour elles fût celui de commandant ? Grâce au témoignage émouvant de Rosette Peschaud, une de ces ambulancières de la 2e DB appelées " Rochambelles ", on put appréhender les modalités de leur intégration dans cet univers masculin: l'hostilité initiale du bataillon médical existant et la méfiance de Leclerc lui-même (qui voulait d'abord les garder jusqu'à Paris seulement) ; méfiance aussi chez les " régiments de tradition ", les jeunes officiers Français Libres étant, eux, plus bienveillants. Enfin, le souvenir de l'estime gagnée au feu, à travers des épisodes comme ce sauvetage de blessés dans un char, accompli à toute vitesse et suscitant les applaudissements des fantassins. Corinne Jaladieu exposa une recherche sur les femmes détenues par Vichy pour raisons politiques à la prison de Rennes, comparées aux détenus masculins de la prison d'Eysses. Le regroupement des " politiques " en 43 est commun aux femmes et aux hommes. La plupart de ces détenues sont accusées d'activité communiste, ce qui semble homogénéiser la répression qu'elle subissent par rapport aux hommes : pourcentage voisin de condamnés par rapport aux prévenus, lourdeur équivalente des condamnations (sauf la peine de mort, qui n'est pas appliquée aux femmes). Le versant allemand de la répression reste à étudier, car les Allemands emprisonnent directement des femmes dans les " quartiers allemands " des prisons, où transfèrent dans ceux-ci des femmes détenues dans les " quartiers français ". Quant à l'attitude de ces femmes en prison, ce qui frappe c'est la solidarité et l'intensité de la vie culturelle: les comités de loisirs assument des tâches comparables à de véritables "universités ". En revanche, on ne peut que noter la rareté des évasions, bien moins nombreuses que pour les hommes. Mechtild Gilzmer présentait le même type de réflexion sur les camps d'internement, en comparant les femmes françaises et étrangères internées à Rieucros et les hommes internés au camp du Vernet. La répression paraît moins dure qu'au Vernet, sauf dans le cas des femmes juives déportées en août 1942. A Rieucros, la population est hétérogène : espagnoles ou allemandes internées en 39 pour leur nationalité, communistes et résistantes internées pour leur activité (certaines après un acquittement judiciaire), prostituées. Vichy profite de cette hétérogénéité pour amalgamer les catégories (accusations de " galanterie " à l'égard de femmes internées pour des raisons politiques) mais aboutit à une situation intenable. A l'été 1943, toutes les prostituées doivent être remises en liberté. La vie dans le camp est scandée par les célébrations de fêtes du mouvement ouvrier. La déportation des femmes résistantes était évoquée par Sigrid Jacobeit, Directeur du mémorial de Ravensbrück (absente, mais dont la communication fut lue en séance). A Ravensbrück furent en effet regroupées les femmes déportées en Allemagne, et parmi elles de 7000 à 10 000 françaises, la plupart classées " Nuit et Brouillard ", c'est-à-dire coupées de tout contact avec leur famille ou leurs amis. Le témoignage de Marie-José Chombart de Lauwe lui apporta un complément saisissant. Celle-ci retraça d'abord l'itinéraire-type des femmes détenues par les Allemands : l'arrestation (moment où l'on pense à cacher des renseignements, mais aussi à mettre le ou les enfants à l'abri), l'interrogatoire (avec le chantage sur les proches, souvent utilisé envers les femmes), le procès et la condamnation (la procédure Nuit et Brouillard concerne particulièrement les femmes : les condamnées à mort sont transférées en Allemagne pour y être exécutées), la déportation. Témoignant ensuite sur les déportées regroupées à Ravensbrück, elle insista sur la vie clandestine du camp : les sabotages par les femmes travaillant dans les kommandos extérieurs, l'aide sanitaire (des médicaments étaient rapportés, camouflés dans les coutures des bas), les diverses formes de vie culturelle : les conférences, la chorale (à laquelle elle participa), les prières collectives, les célébrations d'anniversaires par de petits cadeaux bricolés. Formes et motivations de l'engagement féminin Deux communications ont utilisé des parcours biographiques multiples pour replacer la question de l'engagement " au féminin " dans le cadre des multiples déterminismes à l'œuvre chez une même femme. Anne Grynberg traita de la résistance des femmes juives, montrant qu'elle reflétait toute la palette connue de l'engagement des Juifs sous l'occupation. Chez Yvette Farnoux, juive française intégrée qui succéda à Berthie Albrecht comme responsable du service social de du mouvement Combat, l'engagement n'est en rien lié à la judéité ; c'est la déportation qui l'amènera à l'assumer. Olga Bancic, membre des FTP-MOI parisiens décapitée en Allemagne, est un exemple de l'immigration est-européenne des années 30 pour laquelle prime l'engagement communiste. D'autre cas, comme ceux de Betty Knout sont, eux, symptomatiques d'une vague d'immigrants davantage liée au sionisme, et dont la Résistance a un lien direct avec leur judéité. En l'état actuel des recherches, il est difficile de savoir si les persécutions antisémites ont poussé les femmes juives à s'engager en plus grand nombre que les non-juives ; mais il est certain que leur engagement est davantage fondé sur un " désespoir réactif ", notamment devant l'arrestation de familles juives entières dans les premières années de l'occupation. D'autre part, leur cantonnement dans des tâches caritatives " féminines ", lorsqu'elles étaient dans des organisations légales (UGIF), a pu faciliter leur basculement dans des activités clandestines équivalentes (sauvetage) au sein des mêmes organisations. Pour sa part, Barbara Vormeier retraça les itinéraires de quelques femmes allemandes résistantes en France. Le point de départ commun, c'est l'exil qui les amène en France dans les années 30. Vécu comme une contrainte, il fait néanmoins d'elle, dès avant la guerre, un relais important pour la connaissance du nazisme. La majorité de ces exilées sont des militantes communistes. Dans la résistance, cette triple appartenance (femmes, communistes, allemandes) amène certaines d'entre elles à jouer un rôle crucial dans une activité extrêmement dangereuse, la propagande auprès des soldats de la Wehrmacht ou " Travail Allemand ". Un autre aspect intéressant des biographies citées est la diversité des rapports au PC allemand : on trouve aussi bien le militantisme continué, que la situation de conflit (Dora Schaul est accusée d'avoir trahi la discipline du Parti en quittant le camp de Rieucros), voire la perte de contact. Quant à la répression, le cas d'une femme social-démocrate condamnée dans un premier temps à 10 ans de prison, puis rejugée et condamnée à mort, pose le problème de l'homogénéisation du sort des femmes : y a t-il une indulgence initiale particulière réservée aux femmes non-communistes, qui disparaît avec l'évolution de la guerre ? La comparaison entre la résistance des femmes en France et en Allemagne fut abordée par Florence Hervé. Elle différencia les deux situations du point de vue du régime en place (en Allemagne, le Reich essaye de les enrôler dans des mouvements de masse, contrairement à Vichy), de la Résistance organisée (ultra-minoritaire en Allemagne et ne laissant quasiment aucune responsabilité aux femmes ; plus étendue en France, avec des femmes d'origine sociale plus différenciée, occupant plus souvent des postes de responsabilité et ayant, chez les communistes, des formes d'organisation collective), et par conséquent de la mémoire : le simple examen des titres des souvenirs de femmes montre que si, en France, l'amour de la liberté est mis en avant, en Allemagne, c'est la souffrance à assumer qui domine. La mémoire des femmes Cet aspect fut abordé sous plusieurs angles. La communication de Sandra Fayolle était consacrée aux enjeux de mémoire que révèle la véritable " sanctification " d'une authentique héroïne, Danielle Casanova, par une force politique, le Parti Communiste. Difficile de trouver un meilleur exemple de mémoire de groupe : commémorations et récits de cette vie exemplaire sont mises au service de la mémoire du Parti (cf l'identification constante à Jeanne d'Arc, dans la droite ligne de l'incorporation des symboles nationaux par le PCF depuis les années 30) et suivent étroitement les fluctuations de la guerre froide (on lui associe Berthie Albrecht quand on veut attirer les catholiques, Suzanne Buisson quand ce sont les socialistes).Mais il ne faut pas oublier une autre dimension : cette image offerte à la France de l'après-guerre s'oppose au contre-modèle féminin de la " collaboratrice ". Cette remarque est à rapprocher de la piste abordée par Paula Schwarz dans sa communication, celle d'un regard sexué sur la catégorie même de Résistance. Elle rappela que dans Le Silence de la Mer de Vercors, c'est une femme qui incarne l'idée de Résistance et qu'il y aurait une thématique à explorer à partir du symbole de l'invasion du territoire comme " viol ". Complémentairement, comme le fit remarquer une intervenante, la place des figures féminines dans les mémoriaux d'après-guerre devrait être analysée, à une époque de valorisation de la Résistance au masculin (lutte armée, maquis). Dans sa communication conclusive, Peter Steinbach élargit le thème du colloque en rappelant les enjeux de la mémoire et de l'histoire de la Résistance aujourd'hui, ,en partant de l'expérience allemande. La mémoire des Résistants y a longtemps été occultée, à cause de la division des deux Républiques. En RFA, les résistants ont été considérés après-guerre comme des traîtres, car la légitimité du régime nazi à donner des ordres à la population n'était pas vraiment contestée. En RDA, la glorification de la résistance communiste a conduit à négliger les réactions d'opposition à Hitler émanant de la société allemande. La difficile construction d'une mémoire commune se redouble aujourd'hui d'une question fondamentale : comment faire passer cette mémoire dans la vie publique d'aujourd'hui ? La meilleure façon d'y parvenir est de multiplier les analyses interdisciplinaires et les angles d'approche, afin d'arriver à poser des questions transcendant les histoires nationales. Nul doute que ce colloque de Berlin n'ait montré l'exemple, en la matière, de ce que doit continuer à être la coopération internationale sur l'histoire de la Résistance. Grâce en soit rendue aux deux institutions organisatrices, pionnières en la matière, puisque leur initiatives communes ont déjà donné lieu dans le passé à une exposition présentée en France et en Allemagne sur " Des allemands contre le nazisme " et que d'autres projets sont prévus dans un cadre franco-allemand. Il faut souligner que la parfaite organisation mise sur pied à Berlin par toute l'équipe du Mémorial de la Résistance allemande n'est pas pour rien dans le succès de cette manifestation. Bruno Leroux © Fondation de la Résistance |