Décès de l'historien Pierre Laborie
Actualité, Mer 17 mai 2017 Pierre Laborie est décédé le 16 mai 2017 à Cahors. Il laisse une des œuvres les plus marquantes traitant de la France des années quarante, depuis sa thèse sur le Lot entre 1940 et 1944 (Résistants, vichyssois et autres) jusqu'à son dernier livre sur la mémoire de l'Occupation en France (Le chagrin et le venin) en passant par son ouvrage pionnier de 1990 sur L'opinion française sous Vichy. Tous ses travaux ont eu pour objectif de rétablir la complexité dans la connaissance d'une période soumise à des simplifications récurrentes, y compris chez nombre d'historiens, tellement elle reste chargée d'enjeux mémoriels depuis soixante-dix ans. Deux exemples peuvent être cités, parmi d'autres. L'opinion française sous Vichy a remis en cause la part des travaux de Robert Paxton portant sur l'opinion des Français à l'égard du régime de Vichy, montrant que celle-ci s'était détachée de la Révolution nationale dès 1941. Le chagrin et le venin a nuancé fortement les travaux d'Henry Rousso sur la mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale en France, et surtout leur utilisation dans les manuels scolaires et les media au service d'une périodisation simpliste opposant mémoire rose avant 1970, noire dans les décennies suivantes avant de se stabiliser dans une grisaille qui refuse d'aller plus loin que le gris uniforme. Ses derniers travaux montraient comment cette vulgate bloquait la compréhension des évolutions de la société française dans les années quarante, toute analyse des comportements collectifs des Français à l'égard de la Résistance et de la Collaboration étant soupçonnée de faire le jeu d'une des deux mémoires « dominantes » antérieures. Après avoir été une des chevilles ouvrières des six colloques sur « La Résistance et les Français » des années 1990 (il avait co-dirigé avec Jean-Marie Guillon le premier d'entre eux, La Résistance : mémoire et histoire, paru chez Privat), Pierre Laborie avait ensuite été un des principaux contributeurs du Dictionnaire historique de la Résistance (Laffont, 2006), dirigé par François Marcot. Membre du Comité historique et pédagogique de la Fondation de la Résistance, il oeuvra ensuite sans relâche pour que les recherches stimulées par la Fondation garde cette vision globale de la société française des « années troubles » (terme qu'il préférait à « années noires ») qui était la sienne. En témoignent les pistes de recherches ouvertes par les deux colloques parus aux Presses universitaires de Rennes : Les comportements collectifs en France et dans l'Europe allemande et Images des comportements sous l'Occupation, colloques qu'il co-dirigea alors qu'il était gravement malade. Chercheur exigeant, Pierre Laborie était également soucieux de transmettre les résultats de ses recherches aux enseignants. En témoignent ses nombreuses interventions dans des formations académiques, et les dernières traces écrites qu'il en a laissées dans deux publications soutenues par la Fondation de la Résistance : le dossier « La Résistance » paru dans les numéros 430 et 431 de la revue Historiens et Géographes en 2015, et l'ouvrage Enseigner la Résistance co-dirigé par Laurent Douzou et Tristan Lecoq en 2016 chez Canopé. Bruno Leroux |