La célèbre photographie des maquisards de Boussoulet autour de leur instructeur
Albert ORIOL-MALOIRE et Frantz MALASSIS
Ce célèbre cliché (1), extrait d'un reportage sur le maquis de Boussoulet, a été réalisé en janvier-février 1944, par un photographe salarié (resté anonyme à ce jour) de l'agence Keystone.
Il représente le groupe initial, originaire majoritairement de la Loire, autour de son instructeur l'aspirant Albert Oriol, devant la Maison de l'Assemblée (ancien lieu de culte des protestants) à Boussoulet (canton de Saint Julien Chapteuil en Haute Loire).
Revenu sur son département d'origine lors du débarquement de Normandie, ce groupe s'élargit pour constituer la première unité opérationnelle de l'Armée Secrète de la Loire baptisé " GMO 18 juin "
Le colonel Oriol-Maloire nous a permis d'identifier toutes les personnes photographiées.
A la suite des prénoms et noms, figurent les pseudonymes (en italiques), les professions (2) et les communes d'origine (quasiment toutes de la Loire) des membres du groupe.
1 - Paul Montroy, Paulo, Sury-le-Comtal.
2 - Jean Gagnaire, Carrière, Saint-Etienne.
3 - L'aspirant Albert Oriol, Albert, instituteur, Saint-Etienne, chef du Maquis.
4 - Eugène Sahuc, Cable, métallurgiste, Saint-Etienne.
5 - Louis Dulac*, Lacroix, boulanger, Feurs.
6 - Philippe Mazard, Tony, mineur de fond, Le Chambon-Feugerolles.
7 - Louis Guillot*, Tino, Feurs.
8- Alsacien évadé de l'armée allemande.
9 - Eugène Perrichon, Le Pépé, ajusteur tissage, engagé volontaire de la Grande Guerre, Roanne. Doyen du groupe, sa fille sera infirmière au maquis de l'Armée Secrète " Cassino ".
10 - Maurice Rey, Moussy, Saint-Etienne.
11 - Jean Brunel, Cartier, mineur de fonds, Saint-Etienne. Deux des ses frères seront tués à la défense de Strasbourg (24e Bataillon de Marche) lui même est mort dans les années cinquante de maladie.
12 - Maurice Patin, Maurice, technicien en bonneterie, Roanne, actuel rédacteur du " Résistant de la Loire ".
* Louis Dulac et Louis Guillot sont arrivés les premiers au maquis en septembre 1943
Quelques réfractaires, originaires du département de la Loire, avaient été dirigés par les responsables du mouvement "Combat" puis de l'A.S., vers le massif montagneux du Meygal, en Haute-Loire. Une implantation discrète, hors des grands axes routiers, aux abords du village de Boussoulet (près de Saint Julien Chapteuil) en un lieu de repli dans la forêt avoisinante, permettait une existence moins exposée que dans leur région d'origine, le Forez, dépourvue de bois profonds.
Le choix était d'ailleurs judicieux car ceux-ci, avec la complicité des habitants (3), purent échapper à une descente de la milice venue encercler la localité puis à un vaste ratissage effectué par les unités allemandes stationnées au Puy-en-Velay.
Depuis septembre 1943, le groupe vivait donc dans la clandestinité et - en vue de la préparation des combats de la Libération - le commandant Marey, chef de l'Armée Secrète, désigna comme responsable un jeune instituteur, Albert Oriol, aspirant de réserve, précédemment animateur d'un réseau de Résistance de jeunes à Roanne (Loire) qui venait d'éclater à la suite de plusieurs arrestations...
L'étude de l'armement (mitraillette Sten), l'utilisation d'explosifs et l'entraînement en groupe de combat permirent la constitution, dès le 6 juin 1944, d'un élément opérationnel qui rejoignit la région forézienne, en vue d'y incorporer d'autres volontaires, de s'équiper (véhicules, armements, etc.) et de participer au soulèvement général...
Le "G.M.O.18 juin" (Groupe Mobile d'Opérations) (4) commençait alors les actions armées.
Le 5 juillet 1944, sur les hauteurs de Saint-Maurice-en-Gourgois (Loire), un détachement allemand tente d'anéantir cette unité. Après une vive résistance, celle-ci décroche en ordre. Ce premier face à face sur le département, avec les forces d'occupation, confère au Groupe Mobile " 18 juin " ses lettres de noblesse qu'il honorera à Pichillon, Estivareilles, Pont-Rompu, Givors (Rhône) et lors de la marche sur Lyon puis sur les Alpes.
Son appellation symbolisait :
- 18 juin : premier appel de Londres
- 18 juin : premier maquis de l'Armée Secrète Loire
Les différentes formes de pensées ou de situations sociales s'effacèrent spontanément en raison d'une ambiance chaleureuse et fraternelle. Et la jeunesse, dénominateur commun, permit l'intégration des origines diverses des membres de ce groupe : étudiants ou membres de mouvements de jeunesse (Scouts ou Jocistes) ; ouvriers du quartier populaire de Solaure (Saint Etienne) ou agriculteurs de la plaine du Forez et du Roannais, etc.
En raison de leur jeune âge, la quasi totalité des personnes présentes sur le cliché sont encore vivantes et se trouvent annuellement autour de leur chef d'alors, le Colonel Albert Oriol, lors des cérémonies du souvenir des divers combats pour la libération de la Loire, du Rhône et des Alpes...
Et cette fidélité explique que - plus de 50 ans après - au cours de ces retrouvailles, ils entonnent encore le chant traditionnel du "18 juin " avec la vigueur et la détermination des coeurs qui ont toujours vingt ans...
Lieutenant-colonel (H) Albert Oriol-Maloire
Chef du Maquis de Boussoulet (5)
" Chant du 18 Juin "
Chanté à Boussoulet avec les gars du Maquis de la Loire (A.S.)
Refrain
France, oh ! France de demain,
France, nous n'avons peur de rien.
Nous avons fougue et confiance,
Nous saurons dompter notre entrain.
France, du Rhin jusqu'à l'Artois,
France, conserve bien ta foi.
Car un jour tous ceux du Maquis seront là.
Et libre tu redeviendras.
I
Si tu as sombré dans l'abîme,
Ceux du Maquis t'en sortiront.
Ils se battront fiers et sublimes,
De leur vie ils ont fait le don.
Les F.F.I. marcheront en tête
Le jour du grand relèvement.
II
Comme des loups hors de leur tanière,
Alors nous sortirons des bois,
Nous marcherons tous à la guerre,
Nous saurons faire valoir nos droits.
Les nazis baisserons la tête,
Quand nous sonnerons " l'en avant ".
Complément d'information
Suite à la parution de l'article " la célèbre photographie des maquisards de Boussoulet autour de leur instructeur " par le colonel Albert Oriol-Maloire, nous avons reçu de nombreux courriers de résistants ou de leurs descendants figurant sur ce cliché. Les précisions et rectifications qu'ils ont pu nous fournir à cette occasion nous ont permis de compléter utilement son historique démontrant ainsi l'utilité de la toute nouvelle rubrique de notre revue " autour d'une photographie ". Nous les remercions vivement de leur aide nous permettant de cerner de plus près la vérité historique.
Maurice Patin, résistant membre de l'Armée Secrète de la Loire qui, maquisard au GMO 18 juin, figure sur ce cliché (N°12), nous apporte quelques éclaircissements sur l'auteur et le commanditaire du cliché : " Je doute que Keystone ait envoyé des reporters pour des photos clandestines, en pleine occupation.(...) Il est fort probable qu'elle a atterri chez Keystone vendue ou pas. Je me souviens que le photographe était de Saint-Etienne, il était professionnel et venu clandestinement amené par l'un de nos responsables ". On peut donc supposer que l'idée de l'un des responsables de l'Armée Secrète de la Haute-Loire était de transmettre ce reportage aux dirigeants de Londres afin de leur prouver la réelle efficacité des maquis et donc d'intensifier les parachutages d'armes dans ce secteur. On se souvient que les responsables locaux de l'Ain avaient souhaité qu'un film et des clichés soient pris durant le défilé du 11 novembre 1943 à Oyonnax dans ce même but.
Sur sa datation Maurice Patin nous livre des éléments d'appréciations qui tendent à prouver que contrairement à ce que nous avions avancé cette photo ne peut avoir été prise en janvier-février 1944. " Boussoulet à cette époque, avec ses 1190 mètres d'altitude est recouverte chaque année de 0,50 m à 1,60 m de neige. Or, sur la photo on voit de l'herbe et la floraison." Sur cette base, il pense qu'elle fut certainement prise en mai ou juin 1944. Ce dernier point est confirmé par Lucienne Carré, résistante, infirmière du maquis AS Cassino, fille d'Eugène Perrichon, qui précise que son père " fut emmené au maquis de Boussoulet par Maurice Patin en 1944 " pour ne le quitter définitivement qu'" après le combat de Gland (5 juillet 1944). Son âge ne lui permettant plus son action clandestine ".
Frantz Malassis
(1) NDLR : Ce cliché (6X6) est conservée par l'agence Keystone sous la référence V 439/9.
La légende de l'époque, dactylographiée au dos du cliché original, est la suivante : " Des armes ont été parachutées et les jeunes gens du maquis, non habillés encore, étudient le fonctionnement et le maniement des armes. "
On trouve toujours au dos une autre légende manuscrite : " Maquis en Haute-Loire dans une cour de ferme. Un maquisard apprend aux nouvelles recrues le démontage et le remontage des armes "
(2) En raison de leur jeunesse beaucoup de maquisards n'avaient pas de situation professionnelle précise.
(3) C'est d'ailleurs à quelques kilomètres de là, que toute la population du Chambon-sur-Lignon avait accueilli et hébergé de nombreux enfants juifs. Le pasteur Trocmé et la fraternité protestante étaient à l'origine de cet engagement qui permit de sauver maintes vies.
(4) Dans un souci de commandement, chaque unité, de la taille d'une compagnie de 100 à 200 combattants, était totalement indépendante (moyens de déplacement propre, transmission, service sanitaire ...)
(5) Albert Oriol-Maloire, aspirant en 1939, chef d'un groupe franc en Lorraine pendant la " Drôle de guerre ", grand blessé en 1940, croix de guerre 39-40, intègre en 1942 la Résistance sur la Loire.
Chef d'un réseau de l'Armée Secrète à Roanne, échappe à la Gestapo et prend le commandement du premier maquis A.S. de la Loire le " GMO 18 juin ".
Officier de la Légion d'honneur, officier de l'Ordre national du Mérite, médaille de la Résistance, croix de guerre au titre de la Résistance, de l'Indochine et de l'Algérie.
Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la Résistance dont Hommes et combats. La Loire 1939-1945 paru aux éditions Martelle en 1994.